Soutien aux déboulonneurs

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Témoignage d’Alma Dufour

mercredi 16 janvier 2019, par Raphj

A qui de droit :

Selon le Groupe d’expert intergouvernemental pour le climat (GIEC), nous n’avons plus que 10 ans pour réduire de moitié nos émissions de gaz à effet de serre et ainsi éviter une catastrophe climatique déjà bien amorcée [1]. 15.000 scientifiques ont ainsi lancé un véritable cri d’alarme en novembre 2017 [2]. Les produits de grande consommation ont un impact très important sur l’environnement. La production et le transport des objets du quotidien (habillement, produits électriques ou électroniques ...) représentent près du quart des émissions de gaz à effet de serre des français [3]. L’industrie textile serait ainsi la seconde plus polluante du monde, émettant à elle seule l’équivalent du transport maritime et aérien [4]. La production de ces objets se fait en outre dans des conditions sociales parfois dramatiques. 40.000 enfants travailleraient ainsi dans les mines artisanales en République Démocratique du Congo, pour extraire les métaux nécessaires à la fabrication des produits électroniques [5].

Il est désormais admis que la réduction suffisante de nos émissions implique un effort sans précédent, qui se traduira nécessairement par un changement drastique de nos modes de production, de consommation [6]. Dans l’état actuel, il faudrait 2,8 planètes pour satisfaire les besoins de l’humanité si tout le monde jouissait du niveau de vie des français [7]. Plus de 11 équipements électriques et électroniques et 39 vêtements par habitant ont ainsi été mis sur le marché en France en 2016 [8].

La résolution de la crise écologique passera nécessairement par la réduction de la quantité de produits neufs que nous consommons. C’est une véritable transformation de nos modes de vie et de nos valeurs qui doit s’enclencher et cette transformation ne peut faire l’impasse sur l’un des principaux ressorts des comportements consuméristes : la stimulation continuelle des réflexes de mimétisme social ainsi que du circuit de récompense immédiate, provoquée par l’omniprésence de la publicité dans les espaces publics et privés.

Les nouvelles recherches macro-économiques démontrent une corrélation entre le niveau d’exposition à la publicité dans une société et le niveau de consommation de ses habitants [9]. Les soldes du Black Friday en sont une incarnation superlative : on estime qu’en ce jour de promotions artificiellement fabriquées [10] mais agressivement affichées, 30% des gens achèteraient des produits neufs alors qu’ils en possèdent encore un fonctionnel.

L’action qui a conduit les déboulonneurs devant la justice a lieu dans un contexte où les réflexions confiées à des agences étatiques sur l’impact environnemental de la publicité sont restées en sommeil depuis le Grenelle de l’environnement de 2010. Force est de constater que le sujet ne parvient pas à trouver écho dans les véritables lieux de décision politique et qu’aucune réduction concrète du niveau d’exposition n’a eu lieu.

Les Amis de la Terre soutiennent donc l’action de ces citoyens, en ce qu’elle attire l’attention sur une absence manifeste d’action politique concrète. La catastrophe climatique mondiale est d’une telle gravité, qu’elle est susceptible en elle-même de rendre à terme impossible le maintien d’un état de droit et d’une démocratie telle que nous la connaissons aujourd’hui. Il en va donc du fonctionnement sain de la démocratie de soumettre au débat tous les phénomènes sociaux qui sont prouvés contribuer à son aggravation.

Or la publicité est justement un mécanisme considéré traditionnellement exclu d’un véritable contrôle démocratique car relevant de la dimension économique de l’organisation sociale, de plus en plus dépendante d’un ordre mondial et européen. Le silence politique ne peut ainsi trouver sa source dans le consentement qu’aurait donné la majorité de la population à une telle surexposition publicitaire. Aucun sondage, aucune enquête sociologique quantitative, n’apporte la preuve d’un consentement des citoyens français à être exposés à une telle quantité de messages publicitaires. Bien au contraire, les sondages disponibles témoignent du rejet manifeste de la surexposition publicitaire [11].

En tant que telle, cette action de désobéissance civile non violente ne s’oppose donc non pas à une règle réaffirmée par le pouvoir politique légitime, avec le soutien de la population. Elle vient exiger un débat nécessaire à l’exercice de la démocratie. Comme tout phénomène social, celle-ci est contingente et soumise à la pression de phénomènes internes et externes, et doit perpétuellement lutter pour la préservation de ses principes fondateurs.

Alma Dufour, chargée de campagne Extraction et surconsommation aux Amis de la Terre – association de loi 1901 agréée pour la protection de l’environnement


[1Libération, Le rapport glaçant du Giec, 7 octobre 2018

[2Le Monde, 15 000 scientifiques alertent sur l’état de la planète, 13 novembre 2017

[3ADEME, La face cachée des biens d’équipements, septembre 2018

[4The True Cost, 2015

[5Unicef, In DR Congo, UNICEF supports efforts to help child labourers return to school, 2012

[6Le Figaro, Le Giec appelle à des transformations "sans précédent" pour limiter le réchauffement, 9 octobre 2018

[7Earth overshoot day, Country Overshoot Days

[8ADEME, Equipements électriques et électroniques – Données 2016 ; Eco-Tlc ; Rapport d’activité 2017

[9Benedetto Molinari et Francesco Turino, Advertising and Aggregate Consumption : A Bayesian DSGE Assessment, 18 mai 2017

[10UFC Que Choisir (Black Friday 2018 - La foire aux fausses promos, 21 novembre 2018) ; UFC Que Choisir (Fausses promotions : Après le Black Friday, les prix n’explosent pas, 30 novembre 2018) : par une hausse des prix très peu de temps avant, des références à des prix non pratiqués en réalité, ou même des fausses étiquettes

[11La tribune, 3 mars 2016, 83% des Français irrités par la publicité en ligne, Sondage. La dépêche, Télé sans pub : les Français apprécient - 78% approuvent le début des programmes à 20h35, 12 janvier 2009 ; Selon un sondage Ipsos datant du 13 novembre 2007, 79% des français jugent la publicité envahissante et 58% agressive. ; Le 24 heures, Toulouse : les anti-pub séduisent de plus en plus, 9 janvier 2017