Soutien aux déboulonneurs

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Lettre ouverte à Christianne Taubira

lundi 24 septembre 2012, par Antonin

Lettre ouverte

Paris, le 18 septembre 2012

Madame Christiane TAUBIRA
Garde des Sceaux
Ministère de la Justice
13, place Vendôme
75042 PARIS CEDEX 01

Madame la Ministre,

Vous étiez une simple femme, pas encore d’État, lorsque vous vîntes au café, en face du Palais de justice de Paris, prendre un verre en compagnie de membres du Collectif des déboulonneurs, dont certains des signataires de la présente lettre. C’était il y a quelques années, au sortir d’un procès de militants parisiens poursuivis pour barbouillage de panneaux publicitaires.

Nous sommes aujourd’hui traduits, pour le même type de faits, par le parquet, à la tête duquel vous ont placée vos nouvelles fonctions.

Le rapprochement entre ces deux faits nous fournit l’occasion, non pas de vous trahir, ni de vous mettre en porte-à-faux en révélant le soutien moral dont nous avons bénéficié de la part d’une élue devenue entre-temps ministre, mais de confronter, ce qui est la vocation même de notre mouvement, l’institution – en l’occurrence la justice – et, à travers elle, la société tout entière, avec l’enjeu et la forme de notre combat.

Ce combat, approuvé par vous-même – à moins que ce qui paraissait alors inacceptable à vos yeux ait cessé de l’être, votre sensibilité ayant parfaitement le droit d’évoluer –, consiste, vous le savez, à lutter contre l’envahissement des paysages et des esprits par des images aussi nocives par leur contenu incivique et manipulateur qu’agressives par leur taille, leurs couleurs, parfois même leur luminosité et leur clignotement.

Quant à nos méthodes d’action, placées sous le signe de la désobéissance civile non-violente et fondées sur la légitime réponse – légitime au regard de l’impasse politique, législative et réglementaire qui a fait ses preuves depuis quelques décennies –, au moins n’aurons-nous pas à les justifier à vos yeux : nous vous savons acquise à notre cause.

Comment, en revanche, le procureur de la République, placé sous votre autorité, et le juge, indépendant, réagiront-ils à notre cas lors de l’audience du 8 octobre 2012 ? Certains d’entre nous savent, pour être déjà passés en correctionnelle pour les mêmes raisons, que l’institution peine à nous juger, tant, à travers ses rouages bien huilés, elle entrevoit qu’il faudra un jour nous rendre hommage d’avoir agi comme nous le faisons.

En effet, ne traversons-nous pas, du matin au soir, vous, Madame la Ministre, eux, messieurs le juge et le procureur, et nous, les mêmes paysages, et n’accueillons-nous pas, de la naissance à la mort, les mêmes songeries qui nourrissent notre vie intérieure et que la publicité, par ses obsessions mercantiles, antisociales et anti-environnementales, s’évertue à perturber tout en captant nos pulsions, nos instincts, nos énergies personnelles au profit de quelques annonceurs ?

Qu’avons-nous à vous demander, à la veille de notre procès ? Rien. À vous de décider à quelles fins doit servir une institution comme celle dont vous avez la responsabilité : juger les vrais délinquants – le secteur de l’affichage publicitaire n’en manque pas, c’est le moins que l’on puisse dire… – ou faire payer aux serviteurs de l’intérêt général que nous sommes un prix aussi absurde qu’injuste ?

Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre confiance.

Vincent Boroli Yvan Gradis Raphaël Jolly

Yann Le Breton Antonin Moulart Romain Vigier

Contact : Collectif des déboulonneurs, 24, rue Louis-Blanc, 75010 Paris ; ou notre avocat, maître Nicolas Gallon (04 67 06 14 40).

Lettre ouverte à Madame Christiane Taubira, garde des Sceaux, 18 septembre 2012