Soutien aux déboulonneurs

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Témoignage de Claude Got

mercredi 16 janvier 2019, par Raphj

Mesdames et Messieurs les Magistrates et Magistrats de la 10e Chambre de la Cour d’Appel de Paris,

Ceux que vous allez juger tentent d’attirer l’attention sur un risque majeur pour notre société, le développement sans limites de la publicité. J’ai eu à traiter ce problème à de nombreuses reprises au cours des 40 dernières années, en aidant des décideurs politiques à produire des lois et des règlements. Michel Rocard, Simone Veil, Jacques Barrot, Claude Evin, ou Martine Aubry ont été ou sont encore des acteurs de la vie publique, soucieux de maintenir un équilibre entre la liberté individuelle et l’intérêt collectif.

Les déboulonneurs ont le sens du respect des autres. Ils ont raison de revendiquer le droit de leurs enfants à ne pas apprendre à lire sur les affiches de Monsieur Séguéla qui pense que l’on a raté sa vie si l’on n’a pas une Rolex à cinquante ans, alors qu’ils tentent de leur apprendre qu’une montre à 35 euros peut être plus simple, plus belle, et indique l’heure avec une précision identique.

Ils ont raison de rappeler que la Déclaration universelle des droits de l’homme indique que chacun d’entre nous peut revendiquer les droits "culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité".

Il faut produire des lois ou des règlements capables de réduire le malheur humain évitable par des contraintes acceptables socialement. La diversité des problèmes à traiter, allant de l’interdiction complète de la publicité pour le tabac à la limitation de la publicité pour l’alcool ou pour des aliments qui déséquilibrent la nutrition est indispensable. Elle impose une collaboration entre les scientifiques et les décideurs et finalement l’arbitrage des juges. Les ministres que j’ai servis, de gauche comme de droite, n’étaient pas des extrémistes, mais des modérés qui avaient compris le danger et la puissance des techniques visant à développer toutes les formes de consommation, indépendamment de leurs intérêts et de leurs risques.

Il est illusoire d’espérer neutraliser les comportements destructeurs par l’information, tout en laissant les publicitaires utiliser leurs méthodes de conditionnement. La séduction, la manipulation des images et des sentiments ont des pouvoirs qui dépassent ceux de la rationalité et de l’éducation.

Dans un premier temps, la lutte contre la publicité a été ciblée. Elle visait les facteurs de risque évidents pour la santé. Les déboulonneurs avaient raison avant les autres de considérer la maitrise de la publicité comme une nécessité sociale globale, car elle est capable de déséquilibrer tous les comportements ; avec pour objectif principal le gain financier et non le service rendu. La réclame visant à renseigner et à décrire est morte, la priorité est maintenant de séduire et de vendre.

Le respect du climat et des humains est un des fondements de la lutte pour la survie de l’humanité. Ce principe est incompatible avec une croissance permanente de toutes les formes de consommation. Le bonheur est dans la simplicité et non dans la frustration de ne pas pouvoir acheter. La liberté de détruire l’environnement et les habitants de la planète n’a pas de légitimité. Pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui implique un double contrôle de la publicité, elle ne doit pas s’imposer, elle ne doit pas séduire. Il a été possible d’assurer ces interdits dans de rares cas par des lois spécifiques, par exemple la première version de la loi Evin définissant les limites de la publicité pour l’alcool, sans affichage ni promotion autre que la dénomination du produit.

Depuis deux mois, une fraction de la population exprime les conséquences d’une impasse sociale. Sa gestion est difficile car elle est le produit d’un cumul d’erreurs se situant au niveau national et mondial. La 5ème république a centralisé le pouvoir et réduit le rôle du Parlement. Les 30 glorieuses ont créé des richesses qui ont amplifié les inégalités de ressources. Des agglomérations ont grandi démesurément, d’autres se sont rétrécies et appauvries. On a construit des voitures inutilement lourdes et rapides donc trop consommatrices des carburants. Elles permettent d’accéder à des supermarchés qui ont tué les magasins où l’on allait à pied. Le coût des logements refoule en périphérie les moins nantis. La production d’objets n’a plus de limites. La publicité qui séduit, manipule, et endette contribue à la dégradation de la qualité de la vie en société.

Parallèlement, des pays ont acquis nos savoir-faire et leurs salaires très bas déséquilibrent les échanges. La gestion de l’argent a transformé un outil (développer la production) en finalité (en avoir toujours plus). Les banques américaines ont cru pouvoir prêter à des insolvables et les actions pourries ont provoqué la crise de 2008. Les Etats ont dû renflouer les banques, y compris les nôtres qui ont voulu leur part de ce gâteau empoisonné. La dette publique mondiale s’est accrue et les plus riches ont finalement été les bénéficiaires de leurs erreurs.

La publicité a sa part de responsabilité dans cette transformation d’une évolution vers le progrès en une impasse. La fraction croissante de la population désocialisée ne l’est pas seulement par le chômage, elle se recrute au niveau du SMIC qui ne permet plus de financer un trajet long pour aller au travail, des coûts de loyers croissants et une stimulation permanente des achats par une publicité devenue incontrôlable.

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La première des trois motivations d’agir contre la publicité que je voudrais résumer est l’échec de la plupart des tentatives gouvernementales et parlementaires de limiter son rôle dans la promotion du malheur humain évitable.

Les décisions législatives et réglementaires ont été incomplètes, voire contradictoires. Les lois et les règlements sont insuffisants ou non appliqués. Des groupes de pression complexes, puissants et disposant de moyens financiers importants associent leurs capacités de nuisance pour bloquer ou rendre inefficaces les rares textes visant à réduire la publicité.

L’interdiction de la publicité pour le tabac est la seule législation dans l’ensemble bien respectée, car le texte est simple, c’est un interdit total obtenu en deux temps. Un premier texte législatif en 1976, à l’initiative de Simone Veil, a limité la publicité à la presse écrite. Dans un second temps, un groupe de médecins dont je faisais partie avait proposée l’interdiction totale à Claude Evin en 1988. Il a fait adopter cette décision par le parlement en 1990.

Une autre interdiction a été obtenue qui témoigne de la compréhension par les élus du danger publicitaire et de sa capacité de détruire des valeurs de la vie en société. La publicité politique a été interdite dans notre pays. Elle supprimait l’équité et remplaçait le débat public par l’usage répétitif de slogans réducteurs. Elle était en outre à l’origine de multiples délits destinés à procurer des fonds.

Dans tous les autres domaines l’échec est évident :

Pour l’alcool

L’interdiction de l’affichage qui s’impose à tous, notamment aux enfants n’a tenu que quelques années après le vote de la loi Evin.

La France avait été condamnée en 1980 par la Cour de justice des communautés européennes, notre législation ayant été considérée comme discriminatoire. Il a fallu dix ans pour reconstruire une législation cohérente et conforme aux traités. Le principe que nous avions proposé au législateur n’était pas un interdit complet mais des dispositions limitant les supports autorisés et la nature des messages. Un des principes fondateurs de cette loi était l’interdiction des publicités s’imposant aux enfants (affichage, cinéma, radios).

La cohérence du texte initial a été détruite par des modifications successives du texte. Le lobby de l’alcool a obtenu le rétablissement de l’affichage et plus récemment l’autorisation de la publicité par internet alors que ce média est de plus en plus utilisé par les jeunes voire par les très jeunes. En outre les sanctions prévues par la loi n’étaient pas dissuasives. Quand un producteur de champagne viole manifestement la loi par ses messages, il faut plusieurs années pour obtenir une condamnation en appel et les initiatives des parquets dans ce domaine sont exceptionnelles. Les associations sont confrontées à une délinquance massive qui dépasse leurs possibilités d’action et le législateur a prévu des sanctions ridicules, sans commune mesure avec l’intérêt des annonceurs. La loi devient une forme de symbole, une disposition virtuelle relevant plus de la gesticulation politique que de l’interdit respecté.

Pour l’insécurité routière

La promotion de voitures inutilement puissantes et rapides a été constamment pratiquée par le couple constructeurs-publicitaires.

Les tentatives de maîtrise de la promotion de la puissance et de la vitesse des voitures constituent le meilleur exemple de l’échec des responsables politiques dans un domaine particulièrement important qui concerne à la fois la protection de l’environnement, la réduction du gaspillage des réserves en combustibles fossiles et la sécurité routière.

Nous signons des accords pour réduire la production de gaz à effet de serre, la déclaration universelle des droits de l’homme affirme le droit à la sécurité et nous laissons promouvoir un 4x4 qui consomme plus de 20 litres d’essence aux cent kilomètres en ville et dont la masse excessive et inutile est dangereuse pour les autres usagers.

La publicité pour un véhicule peut être assurée avec des phrases telles que :

"150 chevaux, même à l’arrêt"
ou "Je n’exploiterai pas complètement les possibilités de ma voiture. Levez le pied droit et dites : je le jure".

Le niveau d’incitation à la désobéissance atteint par certaines publicités indique que dans ce domaine les annonceurs peuvent tout se permettre. Une publicité de Volvo incitait à : "s’oublier le temps d’un instant, connaître les règles et savoir s’en affranchir, se perdre entre ciel et terre et s’aventurer au-delà".

J’ai créé en 2004 l’APIVIR (Association pour l’interdiction de la production et la commercialisation de voitures inutilement rapides), destructrices de vies humaines et de l’environnement. Ces caractéristiques étaient en contradiction avec l’article L 311-1 du code la route qui dispose que : "Les véhicules doivent être construits, commercialisés, exploités, utilisés, entretenus et, le cas échéant, réparés de façon à assurer la sécurité de tous les usagers de la route". Le recours a été rejeté par le Conseil d’Etat qui a considéré que les obligations communautaires européennes ne permettaient pas d’interdire la commercialisation d’un véhicule muni d’un certificat de conformité valide. Le conflit a été est porté devant la Cour Européenne des droits de l’homme qui a rejeté notre requête le 16 avril 2009.

La France s’est engagée en 2015 lors de la COP21 à réduire de 29% d’ici 2028 l’émission de gaz à effet de serre produite par la circulation routière. Cet engagement ne sera pas tenu, la consommation de carburants routiers est stable.

La publicité pour les aliments

Le problème de santé publique le plus grave que connaissent les pays industrialisés est la conséquence directe de la promotion publicitaire de modes d’alimentation inadaptés. Il n’y a que quatre facteurs de morts prématurées évitables qui font perdre plus de 100 000 années de vie par an aux français, le tabac, l’alcool, les accidents de la route et le couple sédentarité/suralimentation.

Nous sommes de plus en plus nombreux à demander l’interdiction complète de toute publicité pour des aliments produits industriellement (aliments conditionnés) et associant de façon ingérable de nombreux constituants. Nous avons échoué. Ecrire en petits caractères sous une image attirante qu’il ne faut pas grignoter entre les repas, alors que le produit que l’on vous montre est fait pour développer ce comportement, fait partie de ces hypocrisies d’une société dont les responsables savent parfaitement ce qu’il faudrait faire mais n’osent pas le faire. Les enfants voient l’emballage et toutes les promotions qui accompagnent l’image, ils aiment le sucré et sont conditionnés à des comportements alimentaires désastreux pour leur avenir.

Des dizaines de produits, à l’étiquetage incompréhensible écrit en caractères illisibles, programment grâce aux publicitaires, une société vieillissante et obèse qui ne sera pas une société de liberté mais d’assujettissement à des comportements réduisant la capacité de se déplacer ou de monter des étages et destructeur de l’état de santé. Cette catastrophe sanitaire est déjà évidente aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, et nous la laissons se développer dans notre pays. Un dispositif d’information des risques liés à un produit alimentaire a été défini en France par des spécialistes de la nutrition (Nutri-Score). Sa qualité a été reconnue au niveau international, le ministère de la santé le soutient, mais les producteurs s’opposent à son usage obligatoire.

Le surendettement

Le développement progressif des revenus, incluant les plus faibles d’entre eux, a limité le risque de surendettement dans une période de croissance forte du produit intérieur, mais la proportion de personnes surendettées s’est fortement accrue avec le développement du chômage et la crise économique. Dans ce contexte, l’usage des techniques de séduction publicitaire incitant au recours à des prêts est une pratique auxquelles les personnes les plus vulnérables socialement sont particulièrement sensibles.

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La seconde notion importante dans les motivations à agir contre la publicité est sa dérive progressive vers des pratiques manipulatrices. La réclame descriptive s’est transformée en un achat d’intelligence humaine pour produire des conditionnements d’achat.

Cette notion a été reconnue par un dirigeant de TF1 exprimant avec une sincérité surprenante l’importance d’une action préparant le cerveau du téléspectateur à une bonne réception d’un message publicitaire. "Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible."

La sincérité est le fondement de rapports humains de qualité. La publicité est à l’opposé de la sincérité, c’est une séduction payée, le publicitaire achète des intelligences pour mettre en œuvre des méthodes de conditionnement à l’achat d’un produit ou d’un service indépendamment de l’intérêt réel de l’acheteur. La séduction est un processus qui joue un rôle fondamental dans les relations entre deux êtres humains, mais ce sont alors deux personnalités qui entrent directement en relation, avec des avantages et des risques réciproques. Dans la publicité le processus est asymétrique, l’un cherche à obtenir de l’argent, l’autre va le dépenser. La publicité est à la liberté de penser et d’agir ce que la prostitution est à l’amour entre des êtres humains.

La publicité est un facteur de neutralisation de l’éducation. Cette dernière a pour handicap d’utiliser des méthodes rationnelles et de reposer sur la sincérité. Ceux qui estiment que les individus sont capables de résister aux démarches publicitaires utilisent souvent l’argument de l’intelligence individuelle capable de décrypter les messages publicitaires. Imaginer que l’intelligence protège de la séduction est en elle-même une notion simpliste, et en outre cet argument fait abstraction du problème posé par l’influence de la publicité sur les enfants qui est l’argument fondateur de ce type d’action hostile à la manipulation des esprits par une démarche intéressée.

Imaginer que l’éducation et l’information sont capables de s’opposer à la puissance de la répétition est une illusion, car à cette répétition s’associe la capacité des publicitaires de mobiliser l’intelligence de milliers de concepteurs pour contourner les moyens de défense de ceux qui reçoivent ces messages associant l’humour, le plaisir, la beauté, la qualité alléguée.

Il ne s’agit pas de promouvoir un monde sans risque, la vie humaine est indissociable de la prise de risques, mais de réduire la promotion des risques évitables pour des motifs financiers, ce qui est bien différent. La méthode la plus utilisée pour promouvoir des achats inutiles ou dangereux est le conditionnement publicitaire.

La revendication du droit à promouvoir le risque en l’absence d’un interdit spécifique du type de risque concerné est incompatible avec les textes fondateurs de notre démocratie qui affirment que la liberté consiste à faire ce qui ne nuit pas à autrui et la Déclaration universelle des droits de l’homme qui indique que toute personne "est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité". La législation actuelle n’accorde pas aux enfants la possibilité de développer librement leur personnalité face aux risques liés à l’alcool, aux aliments industriels, à l’usage incontrôlé de jeux électroniques et de téléphones portables ou de réseaux qualifiés de sociaux pour tenter de masquer leurs développements profondément asociaux.

Comme la notion de risque, la notion de séduction fait partie de la vie, mais confondre la séduction entre individus et cette arme de destruction massive qui est le recours à des mercenaires pour développer des argumentations séductrices est la négation de la sincérité dans les rapports humains. C’est une démarche intéressée qui contourne les défenses de l’individu.

Le double jeu des publicitaires est permanent. Les exemples sont nombreux. Une publicité a utilisé des affiches représentant une femme nue dans un chariot de supermarché, elle a été interdite par l’autorité de régulation et cet interdit a assuré la publicité recherchée. Le chariot et la femme nue étaient destinés à faire comprendre les excès de la société hyperconsumériste. Il suffisait ensuite d’ajouter un grand j’accuse pour compléter la récupération des concepts et donner du sens comme on dit maintenant, donner du sens à quoi ? à la commercialisation d’un disque en utilisant un motif inacceptable. Tous les degrés de l’inacceptable sont utilisables par les publicitaires.

Second exemple

Une jeune femme très profondément décolletée, à laquelle on a demandé d’avoir l’air complètement idiote, est associée au slogan "je ne comprends pas pourquoi mon banquier aime me voir à découvert".

Comment imaginer qu’un adolescent, confronté à ces affiches, peut être capable de les décrypter et que sa représentation des femmes ne sera pas influencée par ces détournements d’images et de textes.

La publicité met en difficulté les plus vulnérables, c’est-à-dire les enfants et les adultes les moins éduqués et les moins méfiants. Le fait est évident dans le domaine de l’obésité. Il est également évident dans le domaine du surendettement.

Quand, en 1928, Edward Bernays, le neveu de Freud, a expliqué aux Américains dans son livre "Propaganda" que la société avait des attitudes irrationnelles et qu’il était légitime de l’influencer par des techniques de manipulation, le message était sans ambiguïté. Il n’est pas surprenant de voir cet homme dériver quelques années plus tard vers une application de ses idées au marketing. En aidant l’industrie cigarettière à développer le tabagisme féminin par un défilé à New-York de jolies jeunes femmes fumeuses, il vendait son savoir-faire pour inciter à consommer.

Le fait que son activité ait été consacrée aussi bien au conditionnement politique ("la propagande est le bras exécutif d’un gouvernement invisible") qu’au conditionnement consumériste ne semble pas avoir été perçu dans toute sa signification. Il est injustifié de refuser de mettre sur le même plan les méthodes de Goebbels (qui s’est inspiré des techniques décrites par Bernays) ou de la radio des mille collines qui préparait le génocide Rwandais et celles des publicitaires. La finalité est différente mais les méthodes sont identiques. Leur fondement est la négation de la sincérité, le mépris le plus complet pour cette phrase d’une qualité exceptionnelle de Montaigne :"nous ne sommes hommes et ne nous tenons les uns aux autres que par la parole". Si la parole est mise au service d’une capacité de séduction payée, nous entrons dans la prostitution de l’esprit. Des "créatifs" exploitent toutes les aptitudes de leurs neurones pour que les maîtres des supports qui vendent du temps de cerveau disponible puissent conditionner des humains à acheter.

Nous en sommes maintenant au développement de méthodes scientifiques de conditionnement, qui utilisent notamment sous le terme de neuromarketing des procédés d’imagerie cérébrale dynamique pour tester la réaction aux messages publicitaires.

Deux tares majeures caractérisent la démarche publicitaire actuelle :

- il ne s’agit pas d’une démarche honnête car elle exploite la séduction et la manipulation des idées
- elle privilégie doublement le pouvoir financier, ceux qui en ont les moyens achètent l’intelligence des publicitaires et les supports. Le résultat recherché est un accroissement des moyens de ceux qui en ont déjà beaucoup.

3/
Après les insuffisances des textes tentant de contrôler la publicité et la nature manipulatrice des techniques utilisés, je voudrais rappeler brièvement comment ces déviances influent directement sur les crises graves auxquelles nos sociétés sont confrontées.

La croissance de la production est devenue la seule référence et il faut faire vendre tout ce qui peut être produit. Ce choix a provoqué le développement démesuré de la propagande publicitaire. Le prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz a titré son livre qui fait une analyse exhaustive de la crise financière, économique et sociétale de 2008 "Le triomphe de la cupidité".

Cette affirmation simple, concrète, rejoint les bases les plus fondamentales du droit que vous avez la charge de défendre. L’article 22 de la Déclaration universelle des droits de l’homme précise que chacun d’entre nous peut revendiquer le droit au libre développement de sa personnalité.

Jamais la démarche de lutte contre le conditionnement publicitaire n’a été aussi opportune. La société industrielle occidentale est au bord du désastre et l’association productivisme-hyperconsumérisme ne pouvait conduire qu’au surendettement et à une impasse aux conséquences dramatiques. J’ai écrit cette phrase il y a cinq ans, dans un texte destiné à soutenir les "déboulonneurs". La crise sociale actuelle a des composantes qui sont en accord avec les références qui sont les leurs, mais ils ont su ne jamais dériver vers des violences ou des dégradations irréversibles.

L’association d’une référence unique, l’argent, et de techniques de propagande manipulatrice ne respectant pas l’individu, caractérisent un système totalitaire qui met en danger notre civilisation. Les réunions successives, au niveau international, visant à réduire le réchauffement climatique constatent périodiquement la gravité de la situation. Les chefs d’états tiennent des propos pertinents : "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs" (Jacques Chirac - 2002) ou : "On est en train de perdre la bataille", "On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas" (Emmanuel Macron - décembre 2017 ), mais leurs actions ne sont pas à la hauteur des problèmes.

Conclusions

J’ai une expérience ancienne des nuisances des publicitaires et de leurs méthodes. Elles justifient les actions des déboulonneurs. Ils ont le sens du respect des autres et ils ont raison de revendiquer le droit de leurs enfants à ne pas apprendre à lire sur les affiches. Ils ont raison de rappeler que la Déclaration universelle des droits de l’homme indique que chacun d’entre nous peut revendiquer les droits "culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité".

La justice a un rôle majeur à assurer dans un tel contexte. La Constitution a conservé des textes d’une importance majeure dont l’ancienneté et le caractère général permettent de justifier les actes des "déboulonneurs". C’est la production de dommages graves par les publicitaires qui sont condamnables et non la volonté de s’opposer à leur nuisance. En France et ailleurs des actions judiciaires sont entreprises pour obtenir des décideurs politiques la prise de décisions capables de neutraliser le délire productiviste qui détruira notre société. Il est indispensable de passer des paroles aux actes et de soutenir ceux qui ont compris la gravité de la situation et qui manifestent en faveur de la liberté de vivre.